RASED résiste 13

18/02/12 - Article de Dominique DE PESLOUAN : "l'actualité des RASED et la rééducation à l'école"

L’actualité des RASED et de la rééducation à l’école

Dominique de Peslouan est maître de conférences en sciences de l'éducation.

Il est également responsable de la formation des enseignants spécialisés à l'IUFM de Nice.



La liquidation des Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficultés (RASED) est programmée depuis une dizaine d’années et s’inscrit dans une stricte logique gestionnaire, utilitariste, politique.

C’est dans le « rapport Thélot » (octobre 2004), intitulé « pour la réussite de tous les élèves », que sont développés deux arguments contre le principe même des RASED :

-on ne doit pas « isoler » l’élève en difficultés de la classe : c’est dans le lieu même où apparaissent ces difficultés qu’elles doivent être traitées

-les difficultés scolaires peuvent être réduites à l’ « hétérogénéité »… « dont tous les enseignants sont spécialistes »

Ce rapport était précédé des positions déjà très réservées de L . FERRY (2002-2004) sur l’intérêt d’aides spécialisées à l’école et fut suivi par la loi du 11 février 2005, dont l’ambivalence essentielle réside précisément dans la banalisation de la scolarisation des élèves en situation de handicap au sein d’une école « inclusive » -et si possible dans une classe « ordinaire »- sans discernement (« discrimination ») des pathologies et dans le déni de l’altérité.

Mais c’est X. DARCOS (2007-2009) qui signe cet « arrêt de mort » des RASED, dont l’exécution a été différée jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de trouver ailleurs que dans cette réserve de maîtres non chargés de classes, que sont les rééducateurs et maîtres E, les suppressions de postes annoncées.

Dans une approche simpliste, mais parfaitement adaptée à l’idéologie libérale dominante, les concepts fondateurs des RASED, « difficultés scolaires » et « aides spécialisées », se trouvent balayés :

  1. Les « difficultés scolaires » sont des « désordres » qui relèvent soit du médical, des troubles mentaux (« mental disorders ») qui doivent être soignés hors de l’école, soit d’une mauvaise « gestion » de cette hétérogénéité, qui nécessite de rétablir un ordre scolaire perturbé, une normalisation des programmes et des méthodes permettant à tous les élèves de satisfaire au « socle commun » de connaissances, en mettant fin, par exemple, à ces « méthodes globales » d’apprentissage de la lecture, supposées –selon M.DARCOS- être à l’origine de tous les troubles de l’ illétrisme !

Le « symptôme scolaire » (échec, souffrance, retard, violence, décrochage….) est ainsi limité à une logique binaire : il révèle

-un dysfonctionnement instrumental, neurologique ou génétique (« primaire », selon le langage des classifications) :

Dys-phasie/lexie/orthographie/calculie/praxie…..hyperactivité,troubles envahissants du développement, troubles oppositionnels avec provocation….

-ou un dysfonctionnement institutionnel ou, plutôt, organisationnel, dont le « management » de l’école, comme celui d’une entreprise, l’ « ingénierie pédagogique » devraient se saisir.

Cette logique est aussi celle du « redressement », de la « réparation » : de l’orthophonie à l’orthopédagogie, le comportementalisme triomphe…non seulement dans l’éducation, mais aussi dans toutes les institutions sociales : le « traitement symptomatique » de la difficulté scolaire n’est pas différent de celui de la santé, de la précarité, du chômage ou de la maladie mentale1.

 

  1. Entre sur-médicalisation du trouble et banalisation de la difficulté, il n’y a plus de place pour l’aide spécialisée, pour un « entre deux », un « tiers » entre « soin » et « soutien », lui-même conçu dans son expression la plus immédiate et superficielle de répétition, rattrapage, telle qu’elle est mise en place dans les P.P.R.E. (Programmes Personnalisés de Réussite Educative).

 

Plus de place pour la souffrance de l’enfant à l’école ou, plus exactement, pour la prise en compte du fait que tant d’enfants sont « en souffrance », comme on parle d’une lettre qui reste en souffrance, qui n’atteint pas son destinataire.

Plus de place pour la vie affective de l’enfant dans le cognitivisme ambiant ; pourtant, la vie affective n’est pas seulement composée, si l’on suit Spinoza, d’affections (affectio) perturbant la pensée, mais surtout d’affects (affectus) qui en sont le moteur.

 

Derrière cette évacuation des aides spécialisées, c’est bien en effet le déni du sujet qui est visé, déni de ce sujet qui souffre parce qu’il ne peut s’adapter à l’école, ou/et que l’école ne peut s’adapter à lui, sujet qui ne peut apprendre, englué dans ce que Charles MELMAN appelle « la nouvelle économie psychique », qui règle aujourd’hui les rapports sociaux et se trouve si éloignée des valeurs proclamées de l’école : effort, dépassement du « tout, tout de suite », acceptation du « manque », coopération, échange, projet….

Sujet souvent « en apesanteur », « désarrimé à la loi, au langage, au désir » (Ch. MELMAN) qui ne peut être pris en compte que par le détour de l’aide spécialisée, le temps nécessaire à l’élaboration des représentations, la restauration d’une image positive de soi, le retour sur les conditions d’un apprentissage possible, l’articulation avec les demandes et attentes parentales…

 

Déni du sujet et, finalement, déni de la pensée : « on n’a jamais aussi peu pensé quoi que ce soit », écrit encore Ch.MELMAN dans l’homme sans gravité.

Le primat actuel de l’économique sur le politique et l’éthique ne conduit pas seulement à une économie de moyens, mais, surtout, à une économie de pensée !

La défense des RASED ne peut donc être une défense corporatiste au sein de l’école, ni même une défense de l’école, mais essentiellement une défense de la pensée, une résistance contre ce que Bernard GOLSE appelle la « culture du déshumain », qui nous menace, un engagement humaniste dans une société en crise.

Crise qui n’est pas seulement , comme on veut nous le faire croire, financière et économique, mais avant tout institutionnelle et culturelle.

La crise dans l’école, de l’école, n’est bien, comme l’affirmait Hannah ARENDT, qu’une des expressions de la crise de la culture.

C’est à travers les crises, les phases critiques, que l’humanité avance et se transforme.

Tel est l’enjeu de cette lutte, et des autres…en cette période électorale.

 

 

Dominique de PESLOUAN

11 février 2012

1 Voir les trois « expertises » de l’INSERM sur les « troubles mentaux », les « thérapies », les « troubles des conduites » cautionnant le nouvel « intégrisme scientiste » des neuro-sciences, dont le dernier avatar est ce projet de loi sur l’interdiction de l’approche psychanalytique des autismes.

 



18/02/2012
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